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Publié le lundi 23 mars 2009

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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône

Commémoration du 66e anniversaire de la libération des camps

Avril 2011, par admin

Le 24 avril 2011

L’histoire, ce n’est pas juger mais comprendre. Mais de quel genre de compréhension s’agit-il lorsque l’on parle de l’Holocauste, des Camps de la Mort ?

Comprendre l’innommable, telle est la difficulté face à l’abjection des camps d’extermination, des camps de concentration. Comprendre qu’on ne parle pas de sang, de combats, de victimes, mais qu’on parle d’une industrialisation de la mort, d’un régime planifié, économique et scientifique de l’extermination d’un peuple par un autre, de l’extermination des minorités par une soi-disant « race supérieure ».

Aura-t-on un jour assez de recul pour mesurer l’étendue de cette tache dans l’histoire de l’humanité ? Car cette matière-là échappe à tout entendement, car cette matière-là, 66 ans après, continue d’interroger le présent, à le contaminer aussi ! « L’homme avait donné des leçons à l’enfer », a dit avec clairvoyance Malraux. Inutile de fuir cette histoire : les enfants d’Izieu nous regardent, les 76 000 juifs déportés de France nous regardent, les victimes d’Auschwitz nous regardent, les martyrs de Bergen-Belsen, de Mauthausen, les femmes de Ravensbruck nous regardent.

L’Holocauste, c’est 6 millions de victimes dont près de 3 millions dans les chambres à gaz. Auschwitz : 1 million. Treblinka : 800 000. Belzec : 434 508. Sobibor : plus de 150 000… Juifs, tziganes, opposants politiques, résistants, homosexuels, handicapés, asociaux, il faut tuer en nombre, il faut liquider les corps en masse, il faut effacer du sol aryen ce qui résiste, ce qui conteste, ce qui est différent.

Le 3e Reich, pire régime de l’histoire humaine, écrit le pire chapitre de la civilisation. Il pousse la logique du chiffre, la logique du capitalisme en somme, dans le gouffre de la barbarie. Les hommes, les femmes, les enfants ne sont plus des individus, ce sont des données, des statistiques, des masses à faire disparaître. C’est le marché de la mort qui est en route, immonde, abject, effroyable. Alors, lorsque l’armée soviétique libère Auschwitz le 27 janvier 1945, lorsque les armées alliées d’Eisenhower atteignent Buchenwald le 11 avril 1945, les Anglais à Bergen-Belsen le 15 avril, la 7ème armée américaine à Dachau le 29 avril, le mal a été fait, et l’histoire des hommes n’est déjà plus la même. Aujourd’hui en 2011, ce chapitre ouvert n’est pas fermé, les plaies ne sont pas pansées et ne le seront jamais. Heureusement d’ailleurs, car c’est notre seule façon de rester debout, car se souvenir, transmettre et transmettre encore sont notre seul devoir pour donner une voix, nos voix aux millions de suppliciés.

Holocauste, solution finale, la shoah, ces mots nous dépassent. Ces mots entraînent aussi des questions et démontrent la fragilité des démocraties face au totalitarisme, face au populisme. En 1933, lorsque Hitler prend le pouvoir, il fait du racisme une doctrine d’état. Le processus et les germes du principe d’exclusion, de haine, de rejet, sont inscrits dès le début des années 30. On peut même encore remonter le temps.

Il y a Mein Kampf bien sûr, mais aussi Le Programme en 25 points, présenté dès 1920 par Hitler lui-même, où ce dernier décline quelques lignes du national-socialisme : abrogation du traité de Versailles bien sûr, mais aussi l’exclusion des juifs de la nationalité allemande. La haine déjà se répand comme une traînée de poudre alors que les camps de concentration sortent de terre bien avant la shoah.

A l’orée des années 30, les camps existent et ont un objectif : éliminer et éloigner de la société les oppositions au 3ème Reich. Les communistes, les criminels, les Témoins de Jéhovah, les homosexuels, les asociaux sont les premières cibles. Il faut écraser les structures politiques et syndicales. Il faut anéantir les mouvements de Résistance. Il faut purger la population des personnes considérées comme inutiles ou nuisibles. Il faut exploiter le potentiel des prisonniers dans des camps de travail.

Cette politique va s’amplifier, massacres après massacres. En Europe de l’Est, alors que la guerre est déclarée, les commandos nazis vont commencer à écrire l’innommable lors de l’opération Barbarossa : femmes exécutées à bout portant, leur bébé dans les bras ; exécutions selon la technique de la sardine pour que les cadavres tombent bien alignés, de façon à être évacués rapidement et en nombre. A Kiev en deux jours, plus de 33 000 juifs sont massacrés. L’armée nazie cherche à tuer toujours plus, mais à moindre coûts. Des notes circulent, scientifiques, rationnelles, pour mesurer l’efficacité des premiers camions à gaz. Faut-il continuer dans cette voie, le coût économique est-il trop exorbitant en temps de restriction de carburant ? Combien de temps faut-il pour laver le sol des camions car, avant de mourir, les victimes vomissent, défèquent, et urinent ?

Abomination suprême, qui pense même à protéger le prédateur plutôt que la proie. Les techniques d’élimination doivent épargner le soldat nazi de tous traumatismes psychologiques, de façon à ce que sa propre barbarie n’ait aucun effet sur le moral des troupes. Déresponsabiliser, déshumaniser, déculpabiliser l’acte de tuer, l’acte d’assassiner, l’acte de torturer : le 3ème Reich a atteint cette limite-là, inimaginable, impensable, inconcevable.

Le point d’orgue de cette folie humaine aura lieu le 20 janvier 1942 à la conférence de Wannesee : Himmler officialise la Solution Finale. Des camions à gaz, le 3ème Reich passe aux chambres à gaz. L’escalade est sans fin. Des vies, des millions de vie vont alors partir en fumée dans un ciel de cendres, à Auschwitz et ailleurs. Il aura fallu 20 ans à peine pour qu’un régime totalitaire, raciste et antisémite, impose sa barbarie à l’échelle européenne, puis internationale.

Ce qui doit, entre autres, nous interroger, c’est la fragilité endémique et l’incapacité des Républiques à enrayer un tel processus. Par peur, par égoïsme, par faiblesse. Ça a été le cas hier, ça peut l’être à nouveau demain. Personne aujourd’hui en 2011 ne peut se croire plus immunisé qu’un allemand en 1930.

Regardons le monde tel qu’il est, regardons les ravages du capitalisme tels qu’ils agissent : montée des populismes, de l’extrême droite partout en Europe, montée des intégrismes religieux, défiance vis à vis de la chose publique, défiance civique dans les urnes, des classes populaires ignorées, voire humiliées, dont la colère peut choisir malheureusement de mauvais chemins. La perte des valeurs de la République actuelle, l’individualisme forcené, le repli identitaire, l’atrophie du sens de l’intérêt général nous rapprochent plus des périls qu’ils ne nous en éloignent.

N’oublions pas, n’oublions jamais que c’est sur l’effondrement de la République de Weimar qu’est né le régime nazi. Cette lutte contre les forces réactionnaires n’est donc pas réservée aux manuels d’histoire, elle s’écrit au présent, dans nos actes quotidiens, dans notre vigilance à défendre les espaces républicains, laïques, dans notre devoir de mémoire partagée pour ne pas répéter des erreurs que l’Histoire aime faire bégayer, que l’histoire aime faire rimer.

Ceux qui ont combattu la montée des nationalismes, du fascisme et du nazisme dans les années 30 voulaient, comme le dit si bien Laurent Binet dans son livre HHhH, « envelopper le rouleau hideux de la mort dans le rideau somptueux de la lutte ». C’est par un engagement de tous les instants, ici et maintenant, que l’on combat les idées xénophobes car les digues qui les contiennent peuvent être emportées à tout moment.

En 2011 comme en 1933. Couper à la racine les idées et forces obscurantistes avant qu’il ne soit trop tard, avant que le pire s’engouffre dans les failles et faiblesses du pacte républicain, cette leçon de l’histoire n’est-elle pas contemporaine, ne résonne-t-elle pas en chacun de nous ? Ce jour de commémoration de la libération des camps est aussi un jour de libération des mots, des paroles, de leurs paroles qui sont aussi les nôtres.

Comment les déportés ont-ils vécu l’après, comment sont-ils sortis du cauchemar ? Jamais entiers, tout le temps brisés, écorchés, comme s’il fallait tout réapprendre : à ouvrir les yeux, à marcher, à respirer, à croire, à nouveau, en l’homme, si c’est encore possible. Libéré de Buchenwald, Jorge Semprun, dans L’écriture ou la vie, parle de ce moment précis. Je le cite : « Je n’avais pas vraiment survécu à la mort, je ne l’avais pas évitée. Je n’y avais pas échappé. Je l’avais parcourue, plutôt, d’un bout à l’autre. J’en avais parcouru les chemins, m’y étais perdu et retrouvé, contrée immense où ruisselle l’absence. J’étais un revenant, en somme. Cela fait toujours peur, les revenants. » Et de poursuivre, un peu plus loin : « Jamais je ne pourrais contempler les figures de Giacometti sans me souvenir des étranges promeneurs de Buchenwald : cadavres ambulants dans la pénombre bleutée des baraques des contagieux, se déplaçant à petit pas. Ô combien l’expression banale prend ici un sens, se chargeant d’inquiétude : compter les pas, en effet, les compter un par un pour ménager ses forces, pour ne pas faire un pas de trop, dont le prix serait lourd à payer ».

Tous les témoignages, et je pense aussi bien aux anonymes qu’à Primo Levi, font part d’une liberté perpétuellement conditionnelle. Les corps des uns et des autres se sont remis en mouvement, mais en chaque déporté, quelque chose est resté enseveli à Buchenwald, Auschwitz ou Treblinka.

Malgré la liberté, le bleu n’est plus tout à fait bleu, les mots ne sont plus tout à fait les mêmes. Insondable expérience de l’humiliation, de la soumission, de conditions inhumaines, de cette odeur de chair et de corps calcinés qui reste présente, 30 ans, 40 ans, 50 ans après. Cette impossibilité de se détacher de l’enfer vécu montre à quel point les camps de concentration ont brisé aussi bien les hommes que les humanités.

Pas de retour en arrière possible, pas de chemin de réparation possible, pas d’échappée possible. Comme si, pour les rescapés, tout revenait vers cette faille, ce trou noir, ce centre qui aspire tout et dont on ne pourra pas entièrement se débarrasser.

Les mots de Jorge Semprun qui vont suivre, ils s’adressent à chacun de nous et à ce qui nous reste de beau à accomplir : transmettre et expliquer aux jeunes générations les terribles effets des camps et du régime Nazi sur l’homme et sur notre siècle. « Je ne parviens pas, par l’écriture, à pénétrer dans le présent du camp, à le raconter au présent… Comme s’il y avait un interdit de la figuration du présent…

Ainsi, dans tous mes brouillons, ça commence avant ou après, ou autour, ça ne commence jamais dans le camp… Et quand je parviens enfin à l’intérieur, quand j’y suis, l’écriture se bloque… Je suis pris d’angoisse, je retombe dans le néant, j’abandonne… Pour recommencer autrement, ailleurs, de façon différente… Et le même processus se reproduit…ça se comprend, me répond une voix douce. Ça se comprend, oui, mais ça me tue ».

Je vous remercie.

66 e anniversaire Liberation des camps 220411

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