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Publié le lundi 23 mars 2009

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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône

Journée de la Résistance

Mai 2011, par admin

Retrouvez l’intervention de Michèle Picard à l’occasion de la journée de la Résistance, vendredi 27 mai 2011.

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Un nom : Heydrich, architecte et cerveau malade du pire cauchemar humain, la Solution Finale. « L’architecte suprême du génocide ne fut pas Himmler, mais Heydrich. Il poussa Hitler lui-même », rappelle l’historien Jäckel. Cet homme règne par la terreur, par la sauvagerie de la campagne en Europe de l’Est qui fait des milliers de morts (34 000 en deux jours près de Kiev), par la barbarie à l’état pur. C’est un esprit malade (il imagine la déportation de tous les juifs sur l’île de Madgascar, puis met en place les camions à gaz avant l’innommable : les chambres à gaz), homme fort du Reich, bientôt nommé gouverneur du protectorat de Bohême-Moravie.

En face de la terreur, trois résistants tchèques, parachutés de Londres, dans un rapport de forces démesuré, ne veulent pas laisser s’écrire cette histoire-là. Les risques paraissent inouïs, au prix du sacrifice de leur propre vie, mais ce sont eux qui vont pourtant réussir l’attentat contre Heydrich, en mai 42. Ils se sont levés, opposés, et le commando résistera encore aux 800 hommes du Reich, qui assiègent la cathédrale où ils avaient trouvé refuge. Certains se donneront la mort, d’autres périront dans les combats, alors que la furie des armées allemandes mettra à feu et à sang le village de Lidice, soupçonné d’avoir abrité les parachutistes.

Incendié, rasé jusqu’au sol, ce village en Bohême devient un village martyr : les hommes sont exécutés, les femmes déportées à Ravensbrück, les enfants déportés puis gazés à Chelmno. Du village martyr, Lidice, dont la sonorité n’est pas loin du mot supplice, deviendra un village symbole pour la Résistance, le cœur des combats à mener contre les violences nazies. A Prague, comme sur le plateau des Glières, et ce, quelles que soient les nationalités, la matrice de la Résistance est dans le fond un patrimoine commun, qui efface les barrières linguistiques, les territoires et les différentes cultures.

Dans ce commando précis, il y avait un Tchèque, un Slovaque, un Morave, comme il y avait dans les FTP MOI des Hongrois, des Italiens, des Polonais, des Espagnols, des Français, des Arméniens. L’idée de résister est ce qui fédère les différents langages, comme quelque chose de plus fort même que le langage : un objectif supérieur à ces hommes si différents, et pourtant si semblables, celui de ne pas plier, de ne pas rompre. Il y avait aussi dans l’équipe chargée de tuer Heydrich, la volonté de rejoindre, presque par émulation, l’organisation et le savoir-faire de la Résistance française.

La Résistance, donc, est ce qui diffuse et ce qui réunit, est ce qui entraîne et ce qui relie. Si j’ai choisi ce fait historique, ce n’est pas pour valoriser le caractère héroïque, mot dont je me méfie, de ce commando résistant, mais pour bien montrer que la résistance est un passage et un partage. Un passage un peu fou, dans le sens où la raison ne fait plus obstacle au choix et à la volonté de dire Non. Passage donc d’une situation sécurisée, à l’insécurité permanente, passage de la vie à la mort bien souvent, passage de la soumission à l’insurrection, passage de la lumière à l’ombre. Pour soi, pour son entourage, pour sa famille, passage du confort au risque total. C’est aussi un passage dans le temps.

  • 27 mai 1942, attentat d’Heydrich ;
  • 27 mai 2011 : nous sommes réunis ensemble pour se souvenir de tous ceux qui ont lutté, à travers le temps et la géographie, pour nos droits, nos libertés, nos acquis.

La Résistance, en somme, n’est pas figée, elle vibre et remonte très vite du passé vers le présent en chacun de nous. L’attentat contre Heydrich et le martyre épouvantable qu’allait connaître le village de Lidice, à travers ma lecture récente de HHhH de Laurent Binet, m’ont renvoyée directement à cette journée de la Résistance, que la Ville de Vénissieux tient tout particulièrement à commémorer. La place de la Résistance et de sa représentation dans la mémoire collective de notre société, est un sujet très actuel. Jamais peut-être cette remontée du passé n’avait été aussi prononcée depuis 4 à 5 ans en France.

Elle irrigue notre présent par le biais de cheminements audacieux, comme ces livres documentaires historiques qui empruntent aussi à la fiction : c’est le cas de HHhH de Laurent Binet, ou encore des Bienveillantes de Jonhattan Littell.

Elle irrigue notre présent par des figures marquantes, qui continuent de transmettre et de passer le relais, et dont les voix portent de plus en plus : c’est Stéphane Hessel et son Indignez-vous, c’est Passage de témoin de Raymond Aubrac, dialogue avec son petit-fils sur la notion de transmission, ce sont les Jours Heureux, volume collectif des Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui. Le succès éditorial que ces ouvrages ont connu en 2011 est tout autant surprenant que rassurant. Ils sont aussi le contrepoids et le bouclier citoyens à une autre progression inquiétante, celle du populisme et des forces réactionnaires, partout en Europe, dans les urnes comme dans les esprits.

Mais ce qu’ils écrivent et qu’ils construisent, c’est la mémoire prochaine, la mémoire future, la mémoire ininterrompue qui passe de main en main, de génération en génération. C’est aussi une leçon de vie et une leçon d’être qui nous sont transmises. Qui aurait donc pu croire qu’Indignez-vous se vendrait à plus de deux millions d’exemplaires en France, que son appel à une insurrection pacifique toucherait toutes les générations ? Qui aurait pu croire que le programme du CNR, pour sa modernité et l’exemplarité de solidarité qu’il a offert et qu’il offre encore, allait être cité, mis en avant et même plébiscité 66 ans après ?

L’histoire de la Résistance est une histoire qui dépasse les frontières du temps. La date de l’attentat d’Heydrich du 27 mai 1942 trouve un écho ce 27 mai 2011. Les maquis des Glières, du Vercors, les martyrs de Lidice ou d’Oradour-sur-Glane, font partie de notre mémoire collective, de notre mémoire commune. Dès lors qu’ils entrent dans le patrimoine vivant, c’est-à-dire celui que l’on transmet, ils conditionnent et enrichissent nos réflexions, nos engagements, nos comportements, ils franchissent le seuil du passé. C’est une histoire vivante car, quelle que soit l’époque, l’esprit de Résistance est une voie pour composer un présent qui ne soit pas de soumission. Car, quelle que soit l’époque, c’est aussi de savoir désobéir pour préserver des valeurs fondamentales.

En France, le mot Résistance renvoie presque inconsciemment à l’Occupation, à des noms tels Lucie et Raymond Aubrac, Germaine Tillion, Jean Moulin, Charles de Gaulle, Missak Manouchian, Jean Zay, Marc Bloch. N’oublions pas dans cette liste dont personne n’a à rougir, bien au contraire, tous ces anonymes, hommes, femmes qui ont protégé des maquisards, des juifs, qui ont été à l’origine de grèves, et d’actes de sabotage. Comment lire ce retour incontestable de la Résistance au sens large dans notre présent ?

Le passé fait figure de socle, de ressource-clé, quand l’avenir paraît si opaque. Il y a aussi dans cette résurgence, je le crois, une forme de réponse face aux forces réactionnaires, populistes, à l’œuvre, et qui montent partout en Europe. Face à une tentative à peine masquée de réécrire l’histoire, comme en témoigne récemment l’opération scandaleuse de réhabilitation de Louis Renault, outrage honteux, entre autres, à la mémoire des salariés de l’entreprise, arrêtés, torturés et éliminés pour faits de Résistance.

Résister, c’est aussi se souvenir et garder en tête les faits établis, tels que les historiens nous les ont restitués. La crise de ce capitalisme ravageur, la destruction des services publics et de l’esprit de solidarité et d’égalité qui animaient justement le CNR et l’après-guerre, ébranlent profondément nos sociétés. Dans le présent, avec ce sentiment de résignation, de dépit, de fatalité, comme si personne ne pouvait s’opposer au rouleau-compresseur du libéralisme, qui écrase tout sur son passage : l’homme, l’environnement, et sa capacité à se projeter dans un quelconque avenir. (les forces de l’argent et les néo-populismes ambiants ont tout intérêt à nourrir ce sentiment d’impuissance et d’inéluctable, ce sont elles qui en tireront profit, comme le capitalisme sait si bien se nourrir des crises qu’il génère). Notre société est fragilisée dans son présent donc, mais aussi au cœur de ses origines, de ses racines.

Casser l’Éducation nationale, privatiser la santé, affaiblir politiquement les pôles de résistance que sont les communes, c’est briser les valeurs sur lesquelles s’est construite l’Histoire de la France, c’est interrompre brutalement son processus d’évolution, c’est avancer à l’aveugle, en niant et en effaçant d’où l’on vient, ce qui nous a construit. La crise morale que traverse notre pays, elle est là et pas ailleurs, dans cette perte de liens, dans cette absence de lisibilité de l’avenir, à la lumière du passé.Une force peut s’opposer à ce principe de délitement, la Résistance, mais une Résistance de notre temps, partagée. Si un parfum d’années 30 flotte en 2011 dans ce combat, entre forces populistes et forces progressistes, nous ferions fausse route en voulant appliquer une seule grille de lecture. L’Histoire, ce n’est pas la juxtaposition exacte de deux calques identiques.

Dans Passage de témoin, Raymond Aubrac, qui dialogue avec son petit-fils, en fait le constat (je le cite) : « Il ne faut pas uniquement juger la politique actuelle à l’aune du programme du CNR. Il faut la juger au nom de choses plus profondes, plus lointaines, plus solides, plus ancrées ». Et il nous donne aussi des pistes pour l’avenir : « Il faut être optimiste, c’est cela l’esprit de résistance. On ne le dit pas assez. Tous les gens qui se sont engagés dans la Résistance ou avec le général De Gaulle, ce sont des optimistes, des personnes qui ne baissent pas les bras, qui sont persuadées que ce qu’elles vont faire va servir à quelque chose.

Il faut avoir confiance en soi, être optimiste, et croire que ses combats sont utiles ». Les résistances contemporaines existent, elles sont vivantes et agissent sous nos yeux. A Vénissieux, notre budget est un budget de résistance, à plus d’un titre. Au Clos verger, parents et enseignants refusent la fermeture annoncée d’une classe à la rentrée. L’automne dernier, les salariés, les fonctionnaires, les retraités, la jeunesse, se sont serré les coudes pour refuser le démantèlement des retraites par répartition.

Dans nos sociétés que l’argent veut formater, segmenter et diviser, il y a matière à se révolter, à résister, une fois, deux fois, trois fois par jour. Ce sont là, vous me direz, des micro-résistances, oui mais elles portent des germes, des promesses, elles brisent ici ou là, l’indifférence et la résignation qui font tant de mal au vivre-ensemble. S’indigner, résister, s’engager, créer, voilà l’esprit qu’il nous faut retrouver aujourd’hui en 2011. L’enjeu est de taille, il s’agit d’une régénération complète des développements économiques, sociaux, culturels, éducationnels et politiques.

Transmettre et résister pour remettre l’homme, et non l’argent, au cœur des actions, des priorités et des choix de société. Transmettre et résister, avant que le rejet et la haine ne trompent les peuples. « Aujourd’hui, tout est à repenser, tout est à recommencer. Tout, en fait, a recommencé, mais sans qu’on le sache. Nous en sommes au stade de commencements modestes, invisibles, marginaux, dispersés. Ces initiatives ne se connaissent pas les unes les autres mais elles sont le vivier du futur », prévient Edgar Morin.

Résister aujourd’hui, c’est créer les conditions de l’espoir, et de lendemains plus prometteurs.

Je vous remercie.

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