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Publié le lundi 23 mars 2009

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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône

Libération de Vénissieux

Septembre 2011, par admin

Le 5 septembre 2011

Retrouvez ci-après l’intervention de Michèle PICARD à l’occasion du 67e anniversaire de la libération de Vénissieux, vendredi 2 septembre 2011.

Il faut dépasser le stade des commémorations et des protocoles. La libération de Vénissieux par elle-même, est un élément constitutif de notre histoire, de notre passé et patrimoine communs, de notre identité. Dépasser le stade des commémorations, c’est considérer que notre devoir de transmission n’est jamais achevé, et c’est également exposer notre présent à l’épreuve du passé. Il faut donner un écho, une profondeur, une résonance au cauchemar que la société des hommes a inventé toute seule, il y a 70 ans. Je le dis avec d’autant plus de fermeté, que l’actualité récente est là pour nous rappeler nos devoirs, nous qui sommes réunis ici pour célébrer la libération de Vénissieux.

Cette actualité, à laquelle je fais référence, est une insulte faite à la mémoire de tous ceux et toutes celles qui ont livré le combat contre le Reich et le régime de Vichy, une insulte aussi à la mémoire ouvrière, et à l’héritage du CNR. Au printemps dernier, une véritable entreprise de réhabilitation de Louis Renault a été mise en œuvre. Dépasser le stade des commémorations, c’est aussi cela : rester vigilant face à toute tentative de réécriture de l’histoire, face au révisionnisme, face au cynisme des manipulateurs et falsificateurs en tous genres. Le 9 mai dernier, les huit petits enfants de l’ancien patron déposaient au tribunal de grande instance de Paris, une assignation destinée à réhabiliter leur grand-père, et à obtenir l’indemnisation du préjudice matériel et moral causé par la nationalisation de l’entreprise, prononcée à la Libération.

Il faut mettre cette requête en parallèle avec l’arrestation des militants communistes de Boulogne-Billancourt, en décembre 1941, et juillet 1942. Se souvenir des internés et des déportés des usines Renault, et de ceux qui finiront exécutés au Mont Valérien. Se rappeler des terribles répressions et condamnations à mort favorisées par la loi du 14 août 1941 de Vichy et de Pétain. Et enfin, ne pas oublier cette poignée de mains entre Louis Renault et Adolf Hitler, au salon de l’automobile de Berlin en 1935, traduction explicite du choix du patronat français de l’époque : plutôt le nazisme que le Front Populaire ! Voilà ce qui remonte à la surface, voilà ce que certains veulent effacer du passé et de la mémoire partagée d’une nation. L’engagement de Louis Renault aux côtés des ligues factieuses, antirépublicaines, sa collaboration avec l’Allemagne nazie sous l’occupation, ne reposent pas sur des hypothèses mais sur des faits établis.

La nationalisation des usines, là encore, n’est pas le fruit du hasard, mais découle des agissements de Louis Renault. Dans l’exposé des motifs qui expliquent les raisons de la nationalisation, il est écrit, et je cite : « les livraisons fournies par la société Renault à l’armée française étaient insuffisantes avant la guerre, alors qu’elles ont été importantes en faveur de l’armée allemande ». Il y a là un double outrage : outrage à la mémoire de ceux qui ont vaincu l’innommable, le 3 ème Reich, et fait revivre la République ; outrage à l’héritage politique du CNR, et à ses formidables avancées progressistes pour le bien commun : nationalisation des secteurs de l’énergie, des banques de dépôt, ordonnance de base de la sécurité sociale, etc.

Revancharde, attentatoire, blasphématoire même, cette tentative de réhabilitation doit nous interpeller au plus haut point : elle n’est pas anodine, ni encore moins maladroite, elle reflète tout simplement la rancœur et le retour en force, en France et en Europe, des idées réactionnaires, populistes et extrémistes. C’est en ce sens que le stade des commémorations doit être dépassé, que les dates anniversaires doivent devenir, en somme, des aiguillons et des indicateurs de notre présent, et des forces qui le parcourent. Imagine-t-on la blessure et l’affront que nous procurerait une réécriture de l’histoire de la libération de Vénissieux ? Il ne s’agit pas d’enjoliver l’Histoire, de la manipuler, mais de la rendre, objectivement, sociologiquement, scientifiquement à la collectivité dans son ensemble.

Je crois même qu’elle porte plus de sens, de signification et de valeurs, auprès des générations qui n’ont pas connu la guerre, parce qu’elle interroge, parce qu’elle rend la lecture du présent plus riche, plus profond, plus complexe. Cette grande leçon de la transmission, du témoignage et des leçons à tirer des erreurs passées, c’est ce que nous ont offert de plus beau, Raymond et Lucie Aubrac. Parler, raconter, débattre encore et encore, comme on creuse un sillon, inlassablement, en répétant les mêmes gestes, en posant les mots justes sur la pire période de notre civilisation. C’est ainsi que l’on consolide la mémoire collective, et l’avenir d’une société.

Alors oui, il est important de savoir qu’un 2 septembre 1944, sur la façade de l’ancien Hôtel de Ville, aujourd’hui maison Henri Rol-Tanguy, le drapeau tricolore a été hissé par le Comité de Libération de Vénissieux. Lyon, Chambéry, Grenoble, Saint-Etienne : l’aviation américaine pilonne intensivement les centres économiques de la région, tout au long du printemps ; les troupes alliées desserrent l’étau, et les actions du mois d’août portent en elles le sceau de l’espoir et de la victoire. Fait rare, ce 2 septembre, Vénissieux s’est libérée d’elle-même, par un mouvement populaire d’insurrection, anticipant l’arrivée des armées. Et là encore, prendre conscience de ce geste fort, permet de mieux comprendre la nature, l’identité et le trait de caractère des Vénissians, aujourd’hui en 2011.

Le courage d’une ville populaire face à la crise du capitalisme, répond au courage de nos aînés face à l’oppresseur, à Vichy, à l’occupant. Courage des associations de secours qui sortent, en 1942, 84 enfants et 16 adultes du camp d’internement de Bac Ky, au 52 avenue de la République. Ces voies ferrées menaient à Drancy, et plus loin, au néant crépusculaire d’Auschwitz. Courage des cheminots du dépôt de Vénissieux, qui déclenchaient une grève insurrectionnelle, le 24 août 1944, et qui allaient le payer au prix de leur sang : cinq patriotes tombaient sous les balles allemandes, le long du mur Berliet. Ils s’appelaient Louis Trocaz, Pierre Joseph Gayelen, Félix Gojoly, Louis Moulin et Jean Navarro. Vénissieux, 67 ans après, tenait à leur rendre hommage.

Courage des ouvriers, une quinzaine sera mise à la porte de l’usine Maréchal, futur Véninov, écho du cynisme du patronat d’hier et d’aujourd’hui. Courage des bleus de travail de Vénissieux et Saint-Fons, qui viennent grossir les rangs du maquis d’Azergues. Courage des cheminots en premier, et des syndicats clandestins qui se mettent en grève dans la plupart des entreprises de la région, contre la mise en place du STO. A la SIGMA, spécialisée dans la fabrication de moteurs d’avions, on lutte pour s’opposer aux ordres de réquisition pour l’Allemagne. Grève aussi à la Société des Electrodes et Réfractaires de Savoie, aux Aciéries de Longwy, à la SOMUA, alors que le bras armé de Vichy, par l’intermédiaire du préfet de l’époque, n’avait qu’une hâte : réprimer tout mouvement social. Courage et foi dans cette France aimée, terre d’asile et d’accueil, des immigrés et étrangers qui forment le groupe « Carmagnole-Liberté », auteur de multiples sabotages d’usines de la commune.

Courage et douleur d’anonymes, au sein d’une ville qui paye un lourd tribut, lors des bombardements alliés entre mars et mai 1944 : aux coups de l’ennemi s’ajoutent les coups malheureux des amis : à Vénissieux, 29 personnes seront tuées, 62 blessées, 600 maisons sont à l’état de ruines, ou très endommagées.

Ces luttes, au prix du sang et de sa propre vie, ne forment pas un chapitre achevé de notre histoire, elles sont un élément constitutif d’être Vénissian aujourd’hui, d’être en résistance aujourd’hui, de dire Non, aujourd’hui, à l’ordre établi, au règne du puissant. Nous venons de là, notre ville vient de là, notre république et notre démocratie viennent de là. Elles viennent de celles et ceux qui ont su relever une ville et un pays : Ennemond Roman, Louis Dupic, Georges Roudil, les frères Amadéo, Francisque Paches, Charles Jeannin, et tant d’autres qui ont œuvré dans l’ombre et l’anonymat. L’oublier, ce serait plus que commettre un parjure, ce serait compromettre l’avenir, le laisser aller vers des erreurs déjà commises, déjà connues. Nous sommes tous redevables à ces hommes, à ces femmes, à ces maquisards morts si jeunes, et à la beauté de leurs actes : rendre à une commune sa liberté !

Le fil rouge de notre histoire, il se prolonge dans nos combats pour la dignité de l’homme et de la société. Aujourd’hui comme hier. Le passé nous a appris que la volonté des résistants pouvait faire tomber le mur du totalitarisme. Face au chantier qui est le nôtre, à l’image des conseils et avis éclairés d’Edgar Morin ou Stephan Hessel, notre génération doit retrouver le chemin de la conviction, de l’engagement, de la résistance et de l’intérêt général. La nature a horreur du vide, l’histoire aussi. Si nous passons à côté de ce choix de la mobilisation pour le bien collectif, d’autres forces, populistes et réactionnaires, s’y substitueront. Pertes de valeurs, abstentions record, crises économique, sociale, morale, défiance généralisée, cynisme, repli identitaire et nationaliste, individualisme forcené : jamais depuis l’après-guerre, le délitement de notre société n’avait atteint un tel degré, inquiétant et très préoccupant.

S’indigner ne suffit plus, il faut tout repenser, tout reconstruire, tout réinventer. Remettre les questions humaines là où elles n’auraient jamais dû être chassées : au cœur de la cité, au cœur des modes de développement, au cœur de la pensée et de l’action politique. Je le disais au début de cette commémoration : le présent n’a de sens que s’il est mis à l’épreuve du passé. Le combat qui se joue aujourd’hui n’est pas sans rappeler celui des années 30. La partition n’est jamais tout à fait identique, mais les notes, elles, ne changent pas : il s’agit de la même lutte entre les forces d’émancipation, les forces progressistes, et les forces réactionnaires et nationalistes. De quel côté penchera le balancier ? Personne ne peut le prédire. Mais c’est par la voie de la résistance que, comme l’a si bien dit Raymond Aubrac, des hommes et des femmes ont retrouvé, un jour, le sourire.

Je vous remercie.

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