Sites Web : Retrouvez la Vidéo et mon discours lors de la commémoration du 70e anniversaire de la rafle des juifs étrangers à Vénissieux - Blog de Michèle Picard

Publié le lundi 23 mars 2009

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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône

Retrouvez la Vidéo et mon discours lors de la commémoration du 70e anniversaire de la rafle des juifs étrangers à Vénissieux

Août 2012, par admin

Vichy allait commettre l’abject, et la France l’irréparable. Des rafles de l’été 42 à la collaboration en général, notre pays a longtemps tenu à l’écart, cette page la plus noire de son histoire, de notre histoire. Ce temps de la mémoire sélective est révolu. Chacun ici, dans ce devoir de vérité rempli et assumé, peut saluer l’action et la démarche de Jacques Chirac, alors président de la République.

La cause du maintien de l’unité nationale, l’argument de la responsabilité du régime de Vichy, illégitime et illégal, qui n’était pas, c’est vrai, la République, ont servi de paravent et de leurre, à la seule lecture possible d’une vraie tragédie nationale. Oui, la France a participé activement à la déportation de près de 76 000 juifs, dont plus de 43 000 seront gazés dès leur arrivée dans les camps de la mort, à Auschwitz ou ailleurs. Pour des raisons diverses, le Général de Gaulle, puis François Mitterrand, n’ont pas voulu ouvrir ce livre brûlant.

Il faudra donc attendre le 16 juillet 1995, soit plus d’un demi-siècle, et la commémoration de la rafle du Vel d’hiv par Jacques Chirac, pour que la France retrouve le fil de sa mémoire. Mémoire à vif, mémoire du chagrin et de la douleur, mais mémoire réconciliée, partagée, apaisée.

C’est cette mémoire-là qui œuvre plus durablement contre l’oubli, et c’est vers ce partage collectif restitué, que nous devons tendre, notamment au sujet de la guerre d’Algérie. Mais écoutons ce que disait à l’époque Jacques Chirac, « On verra des scènes atroces : les familles déchirées, les mères séparées de leurs enfants, les vieillards (dont certains, anciens combattants de la Grande Guerre, avaient versé leur sang pour la France) jetés sans ménagement dans les bus parisiens et les fourgons de la Préfecture de Police. La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. »

Les rafles des juifs de France constituent l’aboutissement du processus sordide et dramatique du régime de Vichy. En filigrane, elles sont quasi inscrites dans les lois scélérates et antisémites qui les précèdent : dès octobre 1940, avec le premier statut des juifs, exclus de la fonction publique, des fonctions commerciales et industrielles. Et le pire suit bien sûr : séquestre des biens et entreprises appartenant aux juifs absents ou arrêtés (octobre 40) ; premier convoi de déportés depuis le camp de Compiègne (27 mars 42), port obligatoire de l’étoile jaune (29 mai 42, appliqué dès le 7 juin)…

Dans le cadre des rafles, tous les services de l’administration ont été impliqués, la police en premier lieu bien sûr, mais aussi, et on le sait moins, les services financiers, censés trouver des budgets extraordinaires afin de parquer et de transporter les personnes arrêtées. La politique de quotas est décidée à Berlin, elle sera appliquée à Paris, avant de s’étendre à la zone libre. Pour la France, le quota est fixé dans un premier temps à 40 000 personnes. Presse censurée, rafles effectuées au petit matin, pour limiter le nombre de témoins, tout a été programmé, pensé, prémédité.

22 000 personnes sont ciblées à Paris, il y aura au final de 14 à 15 000 détenus, parqués dans des conditions abominables au Vel d’Hiv. Sans eau, sans nourriture, toilettes bouchées, sous une chaleur suffocante. Cynisme d’un lieu et d’une tragédie : dès septembre 42, le Vel d’Hiv servira d’écrin à un spectacle de corrida…L’été 42 est un tournant, un tournant prévisible vers une escalade de la haine et de l’abject. Mais politiquement, ces rafles marqueront une rupture nette entre l’opinion publique et Vichy, la population, les églises également, prenant conscience que les milliers de déportés n’étaient pas transportés en Allemagne pour y travailler, mais bien pour y être exterminés.

Pour la zone libre, l’idée des rafles est émise par Bousquet lui-même, auprès des autorités allemandes et de Heydrich, l’un des planificateurs de la Shoah ! Et c’est le même Bousquet qui rédigera les circulaires d’autorisation des arrestations dès août 42. La nature de ces rafles change radicalement, dans la mesure où l’occupant n’y est pas présent, et c’est donc l’Etat Français qui livre, de lui-même, ses propres citoyens.

Tous les témoignages actuels des enfants cachés en France, révèlent une blessure et un traumatisme jamais effacés. Ecoutons-les, écoutons-les se souvenir de ces moments terribles, d’une cruauté inhumaine : » Un gendarme tirait ma mère d’un côté, un deuxième me tirait de l’autre. Ils ont pris un jet d’eau pour nous faire lâcher. Je hurlais et je pleurais. Ma mère faisait de même. C’est la dernière image que j’ai d’elle, cet arrachement »

Ou encore, celui de Sarah, arrêtée au Vel d’hiv, mais rescapée des camps de la mort : “ On voyait arriver des parents hagards, tenant à bout de bras des petits enfants mal réveillés, qui pleuraient. Les gens sortaient de partout, avec des affaires ficelées à la hâte, des matelas d’enfants sous le bras.

Ils étaient entourés de policiers, comme s’ils étaient des criminels. Je n’étais pas comme les préadolescentes d’aujourd’hui. J’étais une petite jeune fille naïve, qui vouait une confiance absolue aux personnes »

C’est bien cette confiance que la France de l’été 42 a trahie. Les enfants sauvés de la rafle ont alors vécu cachés, traqués, apprenant pour survivre à mentir sur leurs origines, à changer de nom. La dernière image de leur père et de leur mère, c’est souvent celle d’un père ou d’une mère, chargés comme du bétail dans des wagons de train, dont on sent que la destination finale n’augure rien de bon, et que l’on ne reverra plus, sans avoir eu le temps de leur dire au revoir. Oui, l’été 42 est bien un cauchemar.

N’oublions pas une chose, à travers ces rafles ignobles, n’oublions pas que dans le projet d’anéantissement de la culture juive en Europe, le régime nazi a fait des enfants juifs une cible à part : ils sont les héritiers et le futur du judaïsme et, en tant que maillon entre le présent et l’avenir, il faut les exterminer, les liquider. Un million et demi d’entre eux ont été assassinés, soit 90% des enfants juifs d’Europe.

Je prononce ces mots d’effroi, ici à Vénissieux, à cet endroit même où, dans un ancien camp désaffecté, réquisitionné par Vichy, une centaine d’enfants juifs allaient être sauvés d’une mort annoncée. Car la vie peut parfois, elle aussi, se nicher dans les détails. Ce sont ces hommes et ces femmes, que l’histoire retiendra sous le nom de « justes », ces hommes et ces femmes, modestes, discrets, le plus souvent anonymes, qui épargneront ainsi des milliers de vies. Car à la France qui collabore, il existe aussi une France qui n’accepte pas la soumission et la déportation, une France debout, qui est entrée en Résistance.

Valérie Perthuis-Portheret dans son livre passionnant et documenté, « Le sauvetage de tous les enfants juifs du camp de Vénissieux », a très bien relaté l’humanité des différents acteurs qui constitue l’essence même de la Résistance. Ce livre constitue notre mémoire collective, une mémoire partagée, éclairée et assumée.

A l’extérieur du camp comme à l’intérieur, des forces diverses vont s’additionner, pour changer le cours des choses. Il y a là toutes les obédiences, toutes les organisations et tous les acteurs, certains inattendus, d’un pays qui refusent le racisme, l’intolérance et la haine. La France est d’ailleurs le pays où l’on a sauvé le plus grand nombre d’enfants juifs.

Le Cardinal Gerlier, proche de Vichy, finira par être entraîné par le père Chaillet, dans l’action de sauvetage du camp de Vénissieux. A l’intérieur du baraquement, Madeleine Barrot de la Cimade, les Œuvres de secours aux enfants et de l’amitié chrétienne, vont transformer leurs intuitions en actions, leurs forces du refus en forces de la survie. Dans la nuit du 28 août, une centaine d’enfants vont ainsi sortir du camp de notre ville, non sans douleur, cette douleur terrifiante, de parents signant des actes de délégation de paternité, pour laisser partir ce qui leur est le plus cher avec des inconnus, pour qu’ils continuent, eux, de vivre.

Toutes ces familles juives décimées, tous ces destins brisés, des enfants sauvés à Vénissieux, mais déportés et disparus à Izieux, la solution finale, la mort programmée, industrialisée par le 3e Reich, pour rayer de la carte une communauté, rien ne doit sombrer dans la nuit de l’oubli, rien ne doit se perdre au fil du temps. J’ai toujours en tête ces mots d’Agnès Desarthe dans son livre Le remplaçant, des mots pour défier la mort, des mots pour tous ces enfants, victimes innocentes d’une barbarie sans nom et sans précédent.

Je la cite : « …et nous disons des vers, nous récitons la Divine comédie, des fables et des comptines. Cela ne sert à rien, on meurt quand même. L’art ne sert à rien, car on meurt toujours. Mais l’image reste. L’image d’un convoi d’enfants qui chantent en allant vers la mort et disent : en nous exterminant, c’est vous-mêmes que vous tuez ». 70 ans après, la France n’en a pas fini avec l’antisémitisme, ou plutôt devrais-je dire avec les antisémitismes.

Celui de l’extrême-droite (les scores du Front National sont là pour nous le rappeler), celui lié au conflit israélo-palestinien, celui qui répand sa bêtise, ses rumeurs et ses clichés sur la toile du net. Dans ce siècle récent, où règnent cynisme et décote humaine, la parole s’est libérée, la violence s’est banalisée, et les agressions se multiplient. A Villeurbanne, où trois juifs ont été attaqués, dont l’un à coups de marteau.

A force de tolérer l’inacceptable, de ne pas s’indigner, face aux idées haineuses que colportent le Front National et l’extrême droite, ici à Lyon, ou encore dans la bouche d’Yvan Benedetti, conseiller municipal à Vénissieux, on laisse le poison faire son œuvre, on souffle sur des braises qui peuvent rallumer les pires incendies. A Toulouse, un monstre de haine de 23 ans seulement, a abattu de sang-froid, d’une balle dans la tête, trois enfants juifs de 8, 5 et 3 ans. Passé l’émotion, passé l’onde de choc et notre sang qui se glace, à l’idée d’une telle sauvagerie, il faut s’interroger. Comment au cœur de notre République une telle haine peut-elle prendre forme, grandir, avant de basculer dans l’ignominie ?

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans le lien familial, dans le lien social, dans l’environnement proche et collectif, pour qu’une telle rupture de ban se transforme en haine indescriptible ? Comment notre démocratie, sans atteindre à la liberté individuelle, doit-elle accéder à ce qui est diffusé, à cette haine ordinaire, qui se propage à travers le net et les réseaux sociaux ?

Sur le fond, l’antisémitisme reste toujours aussi stupide (le juif et l’argent, le juif et le pouvoir), mais sur la forme, il a muté, il est devenu le vecteur du repli communautaire, mais aussi l’indicateur d’un affaissement du pacte républicain, dans sa capacité d’émancipation de l’individu, dans sa capacité d’intégration, de tolérance et de respect de l’autre.

67 % des 15/17 ans déclarent ne pas avoir entendu parler de la rafle du Vel d’Hiv, et plus de 4 français sur 10. Faut-il s’en étonner ? Non, dans la mesure où les politiques libérales, menées depuis plus de dix ans, sacrifient l’enseignement, négligent les sciences humaines au profit de cette tyrannie du « tout-rentable, du tout-argent ». Le gouvernement précédent n’a-t-il pas supprimé la discipline de l’histoire-géographie dans les filières scientifiques ? C’est plus qu’une erreur, c’est une faute professionnelle, c’est un manquement à la citoyenneté et à la démocratie.

A travers ce chiffre de 67%, nous mesurons, à moyen terme, les effets des dérives libérales où la société de consommation s’est substituée à la société de la réflexion. A ce rythme-là, qu’en sera-t-il dans dix ans, dans vingt ans, quelles seront les connaissances des uns et des autres du martyr enduré par des enfants, dont nous parlons aujourd’hui, dans les camps de la mort ? De la responsabilité de Pétain et de l’extrême droite dans la déportation de 76 000 juifs en 39-40 ?

C’est ce devoir de transmission dont on a la charge, un devoir capital, impérieux, pour éclairer le présent, pour donner un socle aux jeunes générations.

En créant l’oubli, nous créons à nouveau les conditions de revivre l’innommable. La lutte contre l’antisémitisme, contre la xénophobie, contre le repli identitaire, contre les intégrismes religieux et le néo-populisme d’extrême droite, est une lutte de tous les instants.

Il ne faut pas céder un centimètre sur ce terrain, pas plus qu’il ne faut amnistier, en raison de son âge, le criminel nazi, Laslo Castary, arrêté en juillet dernier en Hongrie, après de biens longues tergiversations de l’Etat Hongrois…

C’est à la justice des hommes de trancher sur son rôle dans la déportation de 15 700 juifs à Auschwitz, et c’est à la mémoire des hommes, de notre mémoire commune à tous, de nous prémunir des affres d’une histoire, qui n’attend que notre indifférence et nos silences, pour pouvoir se répéter.

Je vous remercie.

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