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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône
Journée internationale des femmes
Mars 2013, par adminRetrouvez l’intervention de Michèle Picard à l’occasion de la Journée internationale des femmes, le vendredi 8 mars.
Le 8 mars est une date qui a toujours compté à Vénissieux. Parce que notre ville se bat pour une cause, pour des droits, pour une reconnaissance : la place des femmes dans notre société, la place des femmes, ici et maintenant, en 2013.
Mais ce 8 mars est une date particulière parce que nous sommes, aujourd’hui, au cœur de la première édition du Festival Essenti’elles. Je tenais, avec l’ensemble des acteurs de terrain qui agissent au quotidien dans notre commune, à ce que cette manifestation prenne de l’ampleur, à ce que le 8 mars ne soit pas une journée comme une autre, mais un lieu d’échanges, un lieu de débats, un lieu de création.
Notre festival existe et je remercie chaleureusement tous ceux qui se sont mobilisés pour lui donner naissance : le collectif femmes de Vénissieux, les EPJ, le BIJ, nos équipements culturels, la maison des associations, la maison de quartier Darnaise, le planning familial 69, ainsi que l’ensemble de nos services et du milieu associatif.
L’empreinte culturelle que nous avons choisie, elle est là pour nous interpeller, pour nous interroger, pour nous émouvoir ou nous faire rire. Pour libérer la parole et sensibiliser toutes les générations aux droits des femmes, des droits souvent rognés, souvent bafoués, des droits à conquérir ou à reconquérir.
Essenti’elles a pour objectif de créer une autre durée au sujet des droits des femmes, loin de la grande frénésie médiatique d’un jour et de l’indifférence les 364 jours suivants. Nous voulons en faire un rendez-vous incontournable à Vénissieux, mais aussi, et pourquoi pas, à l’échelle de l’agglomération auprès des associations, des progressistes, des hommes et des femmes qui souhaitent faire bouger les lignes.
Car ce combat-là se mène à deux, il ne s’agit pas d’opposer les femmes aux hommes, mais d’agir pour que les droits des femmes soient l’égal des droits des hommes. Des débats, des soirées festives, des ateliers slam, des longs métrages, des compositions, des créations, des expositions, des récompenses comme l’appel à projet. La Preuve Form’elle pour favoriser l’accès des femmes au sport : le festival ne s’interdit rien pour voir quelle place la société leur accorde, pour illustrer les acquis et révéler les régressions.
C’est en 1910, le 8 mars, que Clara Zetkine, journaliste et militante féministe, crée officiellement la journée internationale des femmes, fruit des grèves des ouvrières à New York et en Europe.
Une date clé, qui renvoie à celle de notre pays. 1944 : droit de vote accordé aux femmes, grâce au CNR. 1965 : libre accès à l’emploi sans avoir à obtenir l’autorisation du mari. Les femmes peuvent enfin gérer leurs biens propres, ouvrir un compte bancaire et … signer des chèques, ce que le régime matrimonial interdisait jusqu’alors. 1970 : la notion d’autorité parentale remplace l’autorité paternelle. 1975 : autorisation de l’IVG. 2000 : égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives.
Mais le plus surprenant dans cette liste de droits acquis, c’est qu’ils sont, à l’échelle de l’histoire de notre pays, condensés et très récents. C’est dire si le combat de nos aînés, auxquels aujourd’hui nous devons beaucoup, a été long, âpre et déterminé. Car à travers cette lutte pour une égalité de place et de condition des femmes, c’est une lutte complexe qu’il a fallu et qu’il faut toujours mener contre les habitudes, les comportements et les préjugés de chacun, contre une société dont l’esprit et les modèles restent patriarcaux, même en 2013.
Je dirais qu’au-delà des lois, il y a un verrou majeur : les mentalités. Les actions que nous menons dans les collèges, lycées et nos 6 EPJ, sur les notions de respect, sur la nature des rapports filles-garçons, s’inscrivent justement dans cette échelle de la durée, d’un apprentissage pédagogique et éducatif.
Les résultats ne se lisent pas du jour au lendemain, ils se matérialisent dans le lent processus d’acquisition du respect et de la représentation, dans l’imaginaire collectif ou individuel, de la femme. Travail de longue haleine, travail au quotidien contre les forces régressives et rétrogrades, qui préfèreront toujours l’ordre établi à l’émancipation. Si le remboursement à 100% par la sécurité sociale de l’IVG pour toutes les femmes à partir de 2013 a été voté en octobre dernier, ce droit reste néanmoins fragile. La fermeture de centres d’orthogénie en est la preuve : 11 d’entre eux ont fermé en 2010 en France ; en Ile-de-France, l’offre d’IVG s’est réduite de 25 %, ce qui pénalise les patientes.
Pendant les mois d’été, et dans certaines régions en France, faute de structures ou de personnels, le droit à l’IVG est un parcours semé d’embûches. Fragile dans les faits et plus fragile qu’on ne le croit dans l’opinion, comme en témoignent les propos de Marine le Pen, favorable au déremboursement de l’interruption volontaire de grossesse.
Souvenez-vous que Simone Weil, pour défendre la loi IVG en 1974, avait été traitée de « nazie » à l’assemblée, alors qu’elle avait connu la déportation à Auschwitz à l’âge de 16 ans. Souvenez-vous que lors de la publication du manifeste de 343 femmes en faveur de l’avortement, Simone de Beauvoir s’était vu répliquer : « Dommage que votre mère ne l’ait pas pratiqué ».
Les forces réactionnaires seront toujours face à nous, pour réduire les espaces de paroles et les libertés individuelles.
Ce que nos aînées ont gagné hier, c’est à nous aujourd’hui de le gagner en poursuivant leurs combats. Les objectifs ne sont plus les mêmes, mais sous l’emprise du libéralisme, de la crise et de l’austérité, les femmes perdent peu à peu des droits que l’on croyait acquis. Nous sommes entrés dans une phase de régression et il y a, comme on dit, beaucoup de Bastilles à prendre. Le constat est frappant dans le monde du travail. Le taux d’activité des femmes était de 34,7% en 1954 contre 84,5% en 2010.
Il y a eu une ouverture manifeste, mais cette conquête relève aussi du trompe-l’œil. Les inégalités salariales perdurent. La différence moyenne entre les salaires des hommes et des femmes dans l’Union européenne est de 16,2%, ce qui signifie que les femmes doivent travailler en moyenne 59 jours de plus que les hommes pour gagner autant qu’eux !
La nature des postes révèle une véritable discrimination. Les femmes représentent 41% des cadres administratifs et commerciaux mais seulement 17,2% des dirigeants de société. Alors que, ne l’oublions pas, elles réussissent mieux leurs études que les hommes. Et cette discrimination est en tout point verticale.
En France, les deux tiers des salariés à bas salaires sont des femmes. Mais que dire des conditions de travail ? Précarité, temps partiels subis, travail de nuit : il faut du courage à ces femmes, souvent en situation monoparentale, pour mener de front vie professionnelle et vie privée, pour s’occuper des enfants, les élever et courir ici ou là après des petits boulots sous-payés. Du courage et une sacrée force physique et psychique, pour ne pas baisser les bras, pour tenir à flot la famille, pour payer des loyers toujours plus chers, pour garder sa dignité au bout de journées harassantes, des journées qui comptent double, voire triple.
Cette précarité qui s’installe, elle se traduit désormais dans les chiffres de la pauvreté. Toutes les associations caritatives tirent la sonnette d’alarme : les femmes, jeunes mais aussi retraitées, sont les premières touchées par la crise.
En France, le taux de pauvreté féminin est de 14% (contre 12,8 pour les hommes) et de 23,7% pour les femmes de 18 à 24 ans. C’est là où la nature de notre combat a évolué : défendre nos droits, c’est battre le fer au cœur du modèle économique et social actuel, cela dépasse en somme la seule cause féministe. Le cadre est devenu plus large, il est dans notre capacité à s’opposer au capitalisme financier, aux forces intégristes et à réinventer un pacte républicain.
Le même impératif s’applique dans l’espace public, où se côtoient, dans un étrange télescopage, la négation de l’identité, de l’image et de la présence de la femme d’un côté, et la marchandisation du corps, à des fins commerciales, de la femme vénale et de la fille facile, de l’autre. Dans cet étau, et entre ces deux schémas, on peut comprendre les difficultés des jeunes filles à se construire une représentation d’elle-même, à esquisser la place qui sera la leur dans notre société. Tout le travail engagé dans nos EPJ s’inscrit dans cette perspective, à la fois d’intégration et de structuration des rapports filles-garçons.
Enfin, bien sûr, dans ces Bastilles à prendre, comment ignorer le fléau des violences conjugales.
Tous les deux jours et demi, une femme meurt sous les coups de son conjoint. Personne ne doit et ne peut s’habituer à de telles statistiques d’une violence brutale, d’une violence crasse. Et ce fléau augmente d’année en année. A Vénissieux, plus 11% entre 2012 et 2011. Avec 7 autres communes, j’ai attiré l’attention du préfet à ce sujet, notamment pour le manque criant de dispositifs et de structures assurant la prise en charge des femmes victimes de violence.
Notre ville a mis également un logement pour l’accueil d’urgence, mais rien n’égalera le droit régalien et la volonté de l’Etat pour éradiquer ce cauchemar de femme vivant dans la peur, vivant dans l’humiliation, vivant dans le silence, vivant dans un corps meurtri qui encaisse les coups.
N’y a-t-il pas d’autres causes plus importantes à défendre en temps de crise, à l’heure où le chômage explose ?
N’en doutez pas, c’est le discours qui va nous être adressé et que nous devons refuser en bloc. C’est celui que le libéralisme veut nous imposer : les femmes, la culture, l’éducation, tout cela est bien secondaire, ce sont des dépenses inutiles et lourdes.
Et bien non, si vous cédez sur ces orientations-là, alors vous céderez sur tout le reste. Le droit des femmes, ce n’est pas une question isolée et exclusive, c’est un enjeu de société parce que c’est le marqueur de notre émancipation ou de nos régressions collectives. Il n’y pas matière aujourd’hui à faire preuve d’optimisme. A la tyrannie du tout rentable et du tout-marchand (même le corps), s’ajoutent les mesures d’austérité décrétées par Bruxelles et relayées par les Etats membres. Lorsque le gouvernement annonce des coupes drastiques à l’égard des collectivités, soit près de 4,5 milliards d’ici 2015, nous savons que ce sont les politiques de proximité qui vont en pâtir.
Les associations de terrain font déjà état de graves difficultés financières. Entre 2006 et 2009, les subventions de l’Etat pour les associations d’aide aux victimes de violences conjugales ont baissé de 18,8%. Moins 38% pour les associations et permanences locales d’accueil, d’écoute et d’accompagnement des femmes victimes de violences. Le Planning Familial 69, Filactions peuvent en témoigner : boucler les budgets devient difficile. C’est pourtant au plus près des réalités quotidiennes que les droits des femmes s’affirment et se renforcent. Il y a, comme je le disais, un au-delà des lois, ce sont les réflexes conditionnés qu’on ne pourra modifier que si l’on agit durablement et efficacement sur le terrain.
Un péril guette, celui du « beau texte » et de beaux principes que l’on adopte, mais dont l’application concrète n’est pas accompagnée de moyens supplémentaires.
Ce premier festival n’est pas terminé ce soir, il reste un beau programme à découvrir jusqu’au 12 mars. Je voudrais remercier très sincèrement tous ceux qui, dans nos services, dans les associations, dans les ateliers de création, se sont investis pour la réussite de cette première édition. Essenti’elles existe, Essenti’elles prend date.
Les voix qui s’élèvent ici, beaucoup voudraient les faire taire, comme si, en France, en Europe, les femmes n’avaient pas à se plaindre de leur statut, ni de leur condition. Nous savons bien qu’au-delà de nos frontières, dans de nombreuses régions et sur tous les continents, les droits des femmes sont quasi inexistants, bafoués, foulés aux pieds.
Pourquoi donc devrions-nous nous taire, pour légitimer le pire, pour ne pas toucher à l’ordre établi ? Nos avancées nous seront toujours contestées, la marche vers les droits à conquérir toujours entravée.
Le passé et l’avenir se rejoignent, ils sont au croisement de nos engagements, au cœur de l’histoire et de l’évolution de nos droits. Céder sur l’un, c’est affaiblir l’autre, alors il faut se battre au présent, ici et maintenant, pour que les prochaines générations vivent mieux que la nôtre, pour que l’émancipation l’emporte sur la régression.
Ce combat-là est un beau combat, c’est le combat des hommes et des femmes, c’est le combat de toutes les générations pour avancer ensemble vers l’égalité.
Je vous remercie.
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