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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône
Le ministre délégué à la Ville, en visite à Vénissieux
Octobre 2013, par admin14 oct 2013 – Retrouver l’intervention de Michèle Picard, prononcée lors de la venue du Ministre délégué à la Ville, M. Lamy
« Le problème des grands ensembles n’est pas de les avoir construits, mais de les avoir abandonnés ! Pendant 15 ans, la France avait bonne conscience parce qu’on avait logé les gens, mais personne n’a parlé « d’habiter ! » C’est cela qui n’a pas été géré en termes humains, en termes de respect de l’habitant. Les gens n’habitaient pas, ils étaient assignés à résidence ». Cette analyse de l’architecte Dominique Perrault, maître d’œuvre, pour notre plus grande fierté, de la médiathèque de Vénissieux, est d’une justesse remarquable. Elle condense les erreurs et les manquements de l’État à l’égard des grands ensembles pendant plus de vingt ans, et elle dessine, à travers le verbe habiter, tout le trajet que nous avons parcouru, pour redonner vie aux quartiers populaires.
La première grave crise des banlieues intervient à Vénissieux, mais aussi à Vaulx-en-Velin et Villeurbanne, une secousse que la France découvre avec stupéfaction, au cours de l’été 81. Sur le plateau des Minguettes, deux histoires se croisent, celle des grands ensembles urbains, et celle de la première crise économique grave du début des années 70. Chômage de masse, départ des classes moyennes, phénomène de ghettoïsation, logements vacants, copropriétés en difficulté : lieu du premier accès à la modernité et au confort dans les années 60, les barres et HLM deviennent peu à peu, le lieu de la détresse sociale et du désarroi. La jeunesse se sent exclue, discriminée, sans avenir ni perspective. A l’été 81, l’explosion est brutale. La colère qui s’exprime, à Vénissieux, mais aussi à Vaulx-en-Velin et Villeurbanne, surprend la France.
Mais cette colère, qui débouchera sur le mouvement civique de la Marche pour l’égalité, contient une autre réalité profonde : le sentiment légitime que le pacte républicain ne s’adressait pas à tous les territoires, qu’il ne s‘adressait pas à toutes les populations, qu’il excluait les jeunes générations, les ouvriers, les immigrés. L’État a quitté les quartiers populaires, le pacte Républicain est devenu, non pas indivisible, mais divisible, à géométrie variable.
Je vais peut-être vous surprendre, Monsieur le Ministre, mais Vénissieux a fait de cette explosion sociale si précoce une chance entre guillemets, quand bon nombre de villes populaires allaient connaître des difficultés identiques, dans les années 90 et 2000, et encore aujourd’hui. Cette chance, c’est d’avoir su réagir vite, et d’avoir inscrit nos actions dans le temps et dans la durée.
Nous avons compris que ce qui se jouait dans les quartiers populaires, c’était ni plus ni moins que l’avenir du pacte Républicain, c’était la présence des services publics et du droit régalien (éducation, sécurité publique, accès à la santé), c’était la question de la citoyenneté et de la culture, c’était d’impliquer les habitants et la jeunesse, dans le cadre de la rénovation urbaine en cours, du plateau des Minguettes.
Depuis maintenant 30 ans, nous n’avons jamais changé de cap, et la ville a maintenu, souvent contre vents et marées et contre les politiques libérales, l’ensemble de ses objectifs. Il n’y a pas si longtemps, l’idée de maintenir des équipements sportifs et culturels aux Minguettes, de gagner de nouveaux habitants, de rénover des copropriétés, de construire des immeubles à taille humaine, cette idée d’une renaissance du plateau pouvait faire sourire certains. Le pari paraissait injouable ! Peine perdue, pour eux, pas pour nous, pas pour les habitants.
Le cinéma Gérard Philipe, l’école de musique Jean Wiener, le centre académique Michel Delay, les maisons de la Darnaise, l’ilôt du Cerisier, la ligne du tramway T4, bientôt la ZAC Vénissy et la ZAC Armstrong : le plateau a été désenclavé et s’est ouvert aux quartiers environnants, il s’est ouvert à Vénissieux comme il s’est ouvert, dans un axe nord-sud, à l’agglomération lyonnaise. Les Minguettes ont avancé parmi des quartiers qui, eux-mêmes, étaient tirés par le haut, et ce double balancier a profité au plus grand nombre, à savoir à l’ensemble des Vénissians.
Loin de moi l’idée d’avoir gagné le pari, mais la ville de Vénissieux peut être fière de l’avoir relevé, d’y avoir cru tout le temps, d’avoir brisé les fractures territoriales, et d’avoir su dépasser les barrières mentales, les plus difficiles peut-être, celles des préjugés et de l’image négative.
30 ans après, tout n’est pas parfait, mais le parcours accompli, considérable à tout point de vue, n’aurait pu se faire sans la détermination de l’ensemble de nos partenaires : l’État, le Grand Lyon, le Sytral, la Région, le Département, le tissu associatif, les acteurs économiques. Nous nous sommes saisis des outils que la politique de la Ville a mis à notre disposition. Les crédits ANRU, pour les opérations du Grand Projet de Ville de Vénissieux, ont été engagés à plus de 90%, et 69 opérations sur 70 sont terminées ou en phase de réalisation.
Vénissieux a été l’une des villes les plus en pointe et les plus volontaristes de l’agglomération à ce sujet. Dans le cadre de la convention ANRU, 219 logements ont été reconstruits depuis 2007, dont 94 en accession sociale à la propriété. Et ce sont les Vénissians qui constituent, en moyenne, 50 à 75% des accédants, et 30 à 40% proviennent du plateau des Minguettes.
Le bilan du CUCS 2007 / 2010, prolongé pour la période 2010-2014, a eu des effets positifs : 80 % des actions réalisées, 13 000 bénéficiaires des actions CUCS / an à Vénissieux.
Ces outils ont été des leviers pour la rénovation urbaine, mais comme le pointe le rapport de l’ONZUS, ils ont aussi montré leurs limites. Le taux de pauvreté dans les quartiers en difficulté est resté trois fois plus élevé qu’ailleurs en France, le taux de chômage deux fois et demi supérieurs. A Vénissieux : 32% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, soit le double de la moyenne nationale.
Nos analyses convergent toutes vers un point essentiel : les quartiers populaires, et les populations qui y vivent, premières victimes de la crise, ne sortiront de l’ornière que si l’État et le droit commun y reviennent en force.
Ne nous trompons pas d’objectifs : les politiques de la ville et les collectivités ne peuvent se substituer à la volonté et aux moyens de l’État, par contre, ces dernières doivent accompagner, et mettre toutes leurs compétences au service de cette cause nationale. C’est la raison pour laquelle les collectivités doivent garder une autonomie financière, sans laquelle les politiques de proximité perdront en efficacité.
Je crois d’ailleurs que ce constat nourrit une partie de votre projet de loi, Monsieur le Ministre, quand vous insistez sur « le retour du droit commun » dans les banlieues, et sur l’implication plus forte des autres ministères et des collectivités locales, dans le désenclavement des banlieues.
Il y a 30 ans, un mouvement civique et pacifique, un mouvement de reconnaissances et pour l’égalité des droits, un mouvement contre le racisme et l’ostracisme, naissait ici, dans ce qui allait devenir la marche pour l’égalité.
Il a une résonance toute particulière, à l’heure où la xénophobie gagne du terrain en Europe et en France.
Dans le cadre de cet anniversaire, des 30 ans d’une marche qui a pris date dans l’histoire de notre pays, la ville de Vénissieux s’associe étroitement, avec ses services et ses équipements culturels, aux actions développées par « le Hareng Rouge », « Vigilance », et « la compagnie Second souffle », qui vont nous être présentées. Elle s’associe aussi à la mémoire des hommes et aux femmes qui demandaient au pacte républicain d’être plus juste et plus solidaire.
Je vous remercie.
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