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Publié le lundi 23 mars 2009

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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône

Commémoration du 92e anniversaire de l’armistice de la guerre de 1914/1918

Novembre 2010, par admin

Jeudi 11 novembre à 11 heures

Maison du Peuple – 8 boulevard Laurent Gerin

Ci après, l’intervention de Michèle Picard

Ils ont été propulsés dans un siècle qui allait immédiatement les dévorer. Le siècle de toutes les tragédies, 20ème du nom, avec pour prologue une boucherie collée à la terre de la Marne et de la Somme, collée sur les visages des gueules cassées.

Ce siècle de toutes les tragédies, dont le prologue allait donner la tonalité générale, et allait créer 20 ans plus tard les conditions d’une réplique terrible en forme d’épilogue : 39-40.

Des tranchées aux trains de Drancy, la boucle est bouclée, le 20ème siècle est mort, cassé en deux.

La suite, car il y en a toujours une bien sûr, tient plus du sursis et de la survie que de l’élan ou de l’esprit.

Il faut reconstruire, se relever, mais plus rien ne sera tout à fait comme avant.

Aujourd’hui, les poilus, comme on les appelait, ont tous rejoint la terre dans laquelle l’impérialisme, les puissances coloniales, le jeu des alliances et les nationalismes exacerbés avaient englué leur jeunesse.

Et nous restons là, sans témoins, avec des noms de batailles posés comme des lucioles : Sarajevo, Verdun, les taxis de la Marne, les batailles des Flandres et la bataille de la Somme, le chemin des Dames, le moulin de Lafaux et un déluge de feu, de fer et de gaz qui tombent sur des hommes réduits à la condition d’insectes. Vivants mais déjà enterrés, morts avant d’avoir été.

C’est aussi bien pour eux qu’avec eux, que je voudrais commémorer cette année l’Armistice de 14-18. Avec leurs mots, leurs peurs, leurs douleurs et, ici et là, les quelques lueurs d’espoir qu’ils leur restent.

Tous les témoignages recueillis proviennent de lettres et carnets envoyés du front par les poilus.

Je crois que c’était l’heure de les écouter tout simplement, sans grand discours, sans cours magistral. Juste des mots, leurs mots qui défiaient la mort à chaque seconde, pour comprendre à quelle profondeur ils sont allés chercher ce qu’ils nous ont laissé : l’amour de la liberté, de la démocratie et de la patrie (n’ayons pas peur, nous les progressistes, de ce mot).

Eté 14, la fleur au fusil et l’idée d’une guerre courte.

- Maurice Maréchal, 22 ans, qui deviendra après la guerre l’un des plus grands violoncellistes du monde : « Hier, durant tout le trajet, les populations pressées aux passages à niveau et aux gares, n’ont cessé de nous acclamer, les femmes envoyant des baisers, les hommes reprenant avec nous la Marseillaise. Pourquoi faut-il qu’une angoisse sourde m’étreigne le cœur ? Après-demain, dans trois jours, les balles vont pleuvoir et qui sait ? Si j’allais ne pas revenir, si j’allais tuer ma mère ? Pardon, maman ! Mon Dieu, pourvu que son désespoir n’aille pas l’aliter ! »

- Henri Aimé Gauthé, fils d’un limonadier, simple soldat de 2ème classe : « La traversée de Commercy se fit au pas cadencé, arme sur l’épaule. Il importait de ne pas offrir le spectacle d’un troupeau incohérent et flasque. Que c’est long ce bourg, ma baïonnette s’empêtre dans mes cuisses, mon col tiré en arrière m’étrangle. Regardez bourgeois, notre pas cadencé permet à votre volaille de cuire en son four. Nous allons par là-bas, où l’on meurt, où l’on est défiguré, haché, déchiré. Nous y allons au pas, au son des cuivres aigus. Nous portons dans nos cartouchières la mort. Nous sommes forts et doux peut-être… »

- Alphonse X, tué par un obus, neuf jours après cette lettre : « Chérie, voilà le baptême du feu, c’est chose tout à fait agréable, mais je préférerais être bien loin d’ici, plutôt que vivre dans un vacarme pareil. C’est un véritable enfer. L’air est sillonné d’obus, on n’en a pas peur pourtant. Dans des casemates enfoncées dans la terre, il y a les gros canons de 155. Il faudrait que tu les entendes cracher, ceux-là. Ils sont à 5 kilomètres des lignes, ils tirent à 115 sur l’artillerie boche ».

- Originaire de Marseille, Maurice Antoine Martin-Laval assiste à sa première attaque. Il aura la vie sauve à la fin du conflit. « Jusqu’à 14 heures, les hommes dorment tranquilles, couchés sur le ventre dans leurs tranchées, harassés qu’ils sont par plusieurs nuits de travail. Ils ne se doutent de rien. Un de leurs capitaines disait : ils me font pitié, je n’ose pas les réveiller. A quoi servira cette attaque, se disent-ils ? Que faire ? L’ordre est formel, il faut marcher. Successivement, chacun des trois lieutenants tombe frappé mortellement à la tête. Les hommes, tel un château de cartes, dégringolent tour à tour.

Que faire ? Avancer ? Impossible ! Reculer ? De même. On ne peut pas se replier, il faut attendre la nuit. »

Le cousin Pelou, auvergnat, tué sur le front en 1916 : « Très honorée cousine, Situation militaire inchangée, ouragan de fer et de feu dans l’atmosphère, secteur effroyable. Le spectacle est unique, tragique, magnifique. La nuit, l’univers est embrasé, le bruit fantastique et terrifiant. Le corps tremble. Ce n’est pas gai, mais la fournaise éteinte, le ciel apaisé, les Titans fatigués, le calme rétabli, la bonne humeur reprend ses droits, chacun sort de son trou, heureux de vivre, de retrouver ses voisins. On répare les dégâts, les piquets broyés sont remplacés, les plaisanteries recommencent. »

- Pierre Chausson, dans un florilège de lettres de l’été 14 : « Pendant cette marche en avant, l’adjudant Pesnel veut obliger des soldats couchés à se lever pour avancer. D’un coup de pied il pense être obéi, mais aucun sursaut ne répond. Il se baisse et s’aperçoit que ce ne sont plus que des cadavres. »

Après 5 mois de guerre, des centaines de milliers de morts français, dont un quart de mobilisés de la première heure. L’automne et l’hiver arrivent, le froid, les eaux croupies dans les trous d’obus et les tranchées. La terre, la glaise, la boue avalent les hommes vivants.

- René Jacob, fils de charron, disparu à Verdun en 1916 : « Dans les ravins et les champs, des cadavres noirâtres, verdâtres, décomposés, des cadavres d’hommes qui ont gardé des pauses étranges, les genoux pliés en l’air ou le bras appuyé au talus de la tranchée, des cadavres de chevaux, plus douloureux encore que des cadavres d’hommes, avec des entrailles répandues sur le sol.

Le vent en soufflant en rafales arrive à chasser les tourbillons de fumée, pas à chasser l’odeur de la mort. « Champ de bataille », ai-je dit plus haut. Non, pas de champ de bataille, mais champ de carnage. »

- Karl Fritz, caporal de l’armée allemande « Nous avons passé trois jours couchés dans les trous d’obus, à voir la mort de près. Et cela, sans la moindre goutte d’eau à boire, et dans une horrible puanteur de cadavres. Un obus recouvre les cadavres de terre, un autre les exhume à nouveau. Quand on veut se creuser un abri, on tombe tout de suite sur des morts. »

- Etienne Tanty, philosophe de formation, qui deviendra professeur de lettres et de latin « Voilà le réveil. Il gèle dehors. Je viens de déjeuner, mais qu’est-ce qu’une demi-boule de pain, (même avec tout le chocolat), pour une journée. J’en ai déjà mangé la moitié et j’ai encore plus faim. Dormir ! C’est tout le bonheur ici car c’est l’oubli. Dormir… On ne pense pas à manger pendant qu’on dort, et l’on fait mieux, moi du moins, on dîne en dormant, en rêvant. »

- Christian Bordeching, lieutenant allemand sur le front, tué en 1917 : « On mange à même le couvercle de notre casserole de fer. Tous les huit jours, je dors une fois sans mes bottes, tous les dix jours, je change de chaussettes. Je dors toujours habillé, les pieds enfoncés dans un sac, le manteau par-dessus. Personne n’a peur de la crasse : on s’y est habitués, on rince, on boit et l’on se lave dans l’eau des tranchées. Mon bonnet a l’air d’une caisse à charbon ».

Le mirage d’une guerre courte s’est évaporé depuis longtemps.

Aux balles ennemies se sont ajoutés les procès militaires pour l’exemple et la lassitude, ainsi qu’un sentiment d’ingratitude.

- Le caporal Henry Floch, un des six « Martyrs de Vingré » : « J’ai profité d’une bousculade pour m’échapper des mains des Allemands. J’ai suivi mes camarades, et ensuite, j’ai été accusé d’abandon de poste. Nous sommes passés 24 hier au Conseil de Guerre. 6 ont été condamnés à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple. Mon portefeuille te parviendra et ce qu’il y a dedans. Ma petite Lucie, encore une fois, pardon.

Si au lieu de m’échapper des Allemands, j’étais resté prisonnier, j’aurais encore la vie sauve. C’est la fatalité. Ma dernière pensée à toi, jusqu’au bout. »

- Edmond Vittet, anonyme

« Le poilu, c’est celui que tout le monde admire, mais dont on s’écarte lorsqu’on le voit monter dans un train, rentrer dans un café, de peur que ses brodequins amochent les bottines, que ses effets maculent les vestons à la dernière coupe, que ses paroles soient trop crues ».

1918, un 11 novembre, la guerre prend fin. La société civile, elle, va la découvrir dans sa chair, dans son épouvantable violence. C’est le retour des gueules cassées, des manchots, des borgnes, des gazés, des unijambistes, des culs-de-jatte, que le peuple reçoit en pleine figure, abasourdi, traumatisé. 6 millions de personnes reviennent ainsi des tranchées, avec des parties de visages, de corps, emportées dans la boue des tranchées.

L’un d’eux, anonyme, témoigne : « Ce n’est pas possible, on m’a changé de tête. Ce n’est plus moi. L’image reflétée fait peur, je hurlerais de désespoir : plus de bouche, mais une gueule, et de ma gueule béante ne sortent que des rugissements de fauve aux abois ».

Quatre années d’une boucherie sans commune mesure, au terme desquelles la vie peine à retrouver ses droits.

Dans cette polyphonie tragique, je tiens à rendre hommage aux tirailleurs sénégalais, marocains, algériens, qui laissèrent leur vie sur notre sol, fidèles à la France libre et républicaine.

Et finir, enfin, sur un mot d’un père à son fils de 7 ans, qui s’interroge, face à l’ampleur du désastre, sur ce qu’il va lui falloir transmettre. Je le cite : « Ecoute, de toute ta tendresse attentive, des choses qui sembleront un peu graves à un grand garçon, mais que je serais plus tranquille de t’avoir dites, assuré que, de ma bouche, tu les comprendras. Oui, ton papa sera ainsi plus tranquille, si la guerre finie, il devait n’être plus là pour te les expliquer ».

Je vous remercie.

cérémonie du 11 novembre 111110

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