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Publié le lundi 23 mars 2009

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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône

49e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie

Mars 2011, par admin

Le 19 mars 2011

L’histoire s’écrit sous nos yeux. A Tunis, au Caire, des mouvements populaires et jeunes ont renversé les régimes en place, autocrates, autoritaires, sclérosés. En Libye, Kadhafi bombarde son propre peuple, le plongeant dans les prémisses d’une guerre civile. A Bahrein, au Yémen, l’opposition est dans la rue. A Alger, le chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika a lâché du leste en levant l’état d’urgence instauré depuis 1992. A Rabbat, les manifestants réclament une démocratisation du régime et l’instauration d’une monarchie constitutionnelle.

Le monde arabo-musulman et maghrébin n’est déjà plus le même. Si les mouvements d’émancipation ne sont pas de même nature, ils comportent néanmoins des points communs : le rejet de régimes corrompus, dont le pouvoir est concentré entre les mains du monarque, de la famille, des clans ; la dénonciation d’une société de plus en plus inégalitaire, fermée aux jeunes, dont beaucoup sont diplômés, en quête d’un emploi ; des partis politiques déconsidérés, une justice aux ordres, une presse surveillée de près.

L’histoire s’écrit sous nos yeux, avec une diplomatie française catastrophique. Proposition abjecte d’exporter les techniques de maintien de l’ordre de notre pays afin de réprimer le mouvement tunisien ; concussion et conflit d’intérêts entre le quai d’Orsay et les amis de Ben Ali ; silence embarrassé, consternant et affligeant pendant la révolte égyptienne ; jet privé pour les vacances des uns et des autres alors que dans les rues de Tunis et du Caire, les victimes tombent sous les balles.

Personne ne peut ici savoir où vont déboucher les révolutions en cours. A l’heure actuelle souffle un vent de liberté, qu’en sera-t-il dans 6 mois, dans 5 ans, nul ne le sait. Mais une chose est sûre : la géopolitique et la diplomatie internationale telles qu’elles ont été menées depuis la fin de la décolonisation ne peuvent plus être reconduites.

Sur les rives de la méditerranée, il faut réinventer une nouvelle politique, sortir d’un post-colonialisme rance où les négociations et intérêts des Etats passaient au-dessus des aspirations des peuples.

Si j’ai ouvert cette commémoration au présent, en ce jour anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, c’est parce que les relations de nos deux pays ressemblent trop à une succession de rendez-vous manqués, d’histoires tronquées, refoulées et dissimulées. Raison de plus pour ne pas manquer l’histoire en cours.

Raison de plus pour bien se rendre compte des méfaits et de l’acidité qu’ont laissés derrière elles la colonisation, la soumission d’un peuple par un autre, l’expropriation des terres, des richesses humaines et des matières premières. N’en déplaise aux nostalgiques de cet ordre esclavagiste, et il y en a encore de nos jours en France.

La guerre d’Algérie, c’est l’échec de la République, pas d’un régime illégal et illégitime comme celui de Vichy, qui a servi par la suite de paravent à la responsabilité de l’Etat français dans la déportation et la collaboration. La République, donc, 4e du nom. Elle est instable, minée de l’intérieur et s’enfonce dans une contradiction dramatique : vouloir négocier, d’un côté, et refuser, de l’autre, de faire évoluer le statut de l’Algérie vers la souveraineté. L’idée qui prime, c’est celle d’une Algérie française.

Née d’une guerre, la 4e République mourra par une autre guerre que l’on appelait à l’époque, pour se voiler la face, les « événements ». J’ouvre une parenthèse : le terme de « guerre d’Algérie » n’a été officiellement adopté en France que le 18 octobre 1999 !

La 4e République s’obstine donc, malgré les mouvements d’émancipation et de décolonisation des peuples du 20e siècle, malgré l’indépendance des protectorats de Tunisie et du Maroc en 1956. Au bout de cet aveuglement, difficilement compréhensible, un carnage : côté algérien, entre 300 000 et un million de morts pour un pays qui ne comptait à l’époque que 10 millions d’habitants. La France avait mobilisé deux millions de jeunes et déployé 400 000 hommes. 30 000 d’entre eux ne reverront plus leur sol natal, dont 13 000 appelés emportés par une histoire qui les dépassait, et sacrifiés par un Etat français autiste et aveugle.

Le sang a coulé et continuera de couler après le 19 mars 1962 et l’application du cessez-le-feu : assassinats et attentats de l’OAS, massacres des Harkis que la France abandonne. 60 000 d’entre eux seront exécutés, décimés, assassinés sans que l’Etat français n’intervienne.

Le mythe explosif de « l’Algérie, c’est la France » ne fait que recouvrir une autre chimère, celle de la colonisation à la Française, oeuvrant pour la civilisation. Il faut remonter aux racines de l’histoire pour avoir une idée de la violence et des souffrances endurées par le peuple algérien. Entamée à la fin de la Restauration et à peine achevée sous Napoléon 3, la colonisation est un bain de sang dès le 19e siècle.

Viols, pillages, récoltes dévastées, mise à sac des villages tenus par la résistance d’Abd-el-Kader, populations enfumées dans des grottes, jusqu’en 1847, la guerre, soutenue par Thiers, est déjà sauvage, féroce.

Est-ce ainsi que la France œuvre pour la civilisation ? Faut-il voir ici les bienfaits de la colonisation, que des députés réactionnaires voulaient réintroduire dans les manuels scolaires en 2005 ! La violence initiale, et la complète soumission d’un peuple par un autre sont inscrites dès le début du processus. Elles préexistent avant le massacre de Sétif en 1945, avant l’usage systématique de la torture à partir de 1956.

Soumission et humiliation complète avec ce code de la honte, le code de l’indigénat qui créait deux catégories de citoyens : les citoyens français (de souche métropolitaine) et les indigènes ou sujets français (Africains noirs, les Malgaches, les Algériens, les Antillais, les Mélanésiens).

En clair, les « sujets français » soumis au Code de l’indigénat étaient privés de la majeure partie de leur liberté et de leurs droits politiques.

Idem en matière d’éducation, d’accès aux soins, de justice. Un code qui ne sera abrogé qu’en 1944 par le comité français de libération nationale. Rendez-vous manqué de la 4e République dans son ensemble, avec sa propre histoire et avec la grande Histoire, avec aussi sa propre jeunesse envoyée dans les Aurès et qui en sortira, dans le meilleur des cas, meurtrie et marquée. Beaucoup sont partis sans mesurer la gravité de la situation et avec l’idée qu’une solution à l’amiable serait trouvée. La nasse de la violence se refermera sans pitié sur eux. 50 ans après, bon nombre connaissent toujours des troubles du sommeil. Leur parole se libère et ils racontent tous l’horreur de la guerre, la violence de l’OAS, les enlèvements du FLN, et surtout cette impression d’être des acteurs d’un conflit qui n’est pas juste, d’un conflit anachronique et vain.

Des hommes politiques, des sociologues, ethnologues et intellectuels, de Derrida au Manifeste des 121, s’étaient révoltés contre la guerre d’Algérie, cette sale guerre qui ne disait pas son nom mais l’Etat, aveugle, n’en a pas tenu compte, n’a pas vu ou, pire encore, n’a pas voulu voir, ni entendre ce qui est écrit dans le Manifeste. Je le cite :

« - Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien.

- Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d’apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français »

En 1956 déjà, le mouvement les jeunes soldats insoumis contre la mobilisation du contingent avait été réduit au silence par le gouvernement d’Edgar Faure. Alors que la SFIO s’alignait sur l’idée de l’union française, les militants et la base du PCF prenaient de court leur propre direction, hésitante, frileuse, qui allait se fourvoyer en votant les pouvoirs spéciaux à Guy Mollet. Les saisies à répétition de l’Humanité pour ses dénonciations de l’usage de la torture, les manifestations pour « la paix en Algérie », les figures d’Henri Alleg, de Maurice Audin, les morts de Charonne, parviendront à faire entendre une autre voie, celle de la raison, celle de l’arrêt des combats, celle de l’indépendance.Lorsque le 18 mars 1962 à Evian, Louis Joxe pour le gouvernement français et Krim Belkacem, au nom du gouvernement provisoire de la République algérienne formée par le FLN, signent les accords d’Evian, la France a enfin compris que la page de la colonisation était définitivement tournée. Elle l’a compris, certes, mais si tardivement !

Aujourd’hui en 2011, même s’il reste beaucoup de non-dits (c’est la raison pour laquelle je tenais à commémorer les massacres de la nuit du 17 octobre 1961 à Paris), nous avons plus que jamais besoin d’une histoire partagée, assumée, d’une mémoire commune, sereine et solidaire entre les peuples français et algériens.

C’est elle et elle seule, qui nous fera avancer dans le nouveau siècle que le monde arabe écrit sous nos yeux aujourd’hui. Sans frilosité, sans repli, mais avec l’énergie des émancipations en cours, la force des espoirs soulevés et les leçons du passé.

Je vous remercie.

19mars2011

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