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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône
Expulsions locatives – Saisies – Coupures intervention de Michèle Picard
Avril 2011, par adminLe 7 avril
Aux côtés de Serge Tarrassioux, maire de Pierre-Bénite et Bernard Genin, maire de Vaulx-en-Velin, Michèle Picard a défendu, devant le Tribunal administratif de Lyon, la légitimité des arrêtés interdisant sur la commune les expulsions locatives, les coupures d’eau, d’énergies et les saisies mobilières, pris le 15 mars dernier.
Retrouvez ci-après son intervention. Arretes2011TA07042011
Mes propos viennent étayer les arguments développés par maître Mescheriakoff. Démontrer la pertinence et l’utilité de mes arrêtés.
Il y a 2 ans, la crise économique ravageait le pays. Si pour le monde de la finance, cette crise est passée, les conséquences sociales qui en découlent sont toujours aussi dramatiques. La pauvreté se généralise, se banalise et se féminise. Voici des chiffres tirés de la réalité quotidienne.
- 2 millions de travailleurs pauvres
- 1 salarié sur 4 gagne moins de 750 euros/mois
- 8 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté dont près d’un million de retraités.
- 100 000 personnes sans domicile fixe. 30 % d’entre elles ont un emploi.
- Les familles monoparentales sont les premières touchées par cette précarité (1/3 sont concernées).
- La précarité énergétique touche 3,4 millions de ménages
- plus de 100 000 coupures de gaz et électricité par an (pas de trêve hivernale).
Derrière ces chiffres, la détresse humaine d’hommes, de femmes, d’enfants et le pire est encore à venir !
- Augmentation de 13,7 % des prix de l’énergie en 1 an : Electricité + 6,4 % – produits pétroliers + 17% – Gaz + 20% (+ 60 % en 5 ans).
- Le PDG d’EDF préconise une augmentation de 5 à 6 % par an, pendant 5 ans, soit une hausse de plus de 30 %.
- Hausse des produits alimentaires de base : quelques exemples : Farine entre 15 et 20 %, Café entre 10 et 20%, huile/beurre entre 4 et 8 %.
Chômage, bas salaires, temps partiels imposés, prix des logements, manque de logements sociaux, augmentation des prix de l’énergie : les familles les plus démunies sont de plus en plus frappées par la précarité qui touche aujourd’hui des catégories sociales jusque là épargnées.
Le Secours Catholique alerte sur l’évolution de la pauvreté. En 2010, 80 000 personnes supplémentaires ont été aidées, vivant avec seulement 548 euros par mois.
Etude sur 1163 ménages disposant d’un revenu mensuel médian de 759 euros :
- Dépenses incompressibles (loyer, énergies, eau, assurances, mutuelles, transports, scolarités) : 515€
- Frais Alimentation et habillement : 265€
- TOTAL des dépenses courantes : 780€
- A la fin du mois : dette – 21€
Avec le moindre imprévu : maladies, soins dentaires à Ces familles sombrent dans la spirale de l’endettement.
Cet exemple concret illustre la réalité de ce que peuvent vivre ces familles et réfute, ce que l’on veut nous faire croire : que les pauvres gèrent mal leur budget. Ce ne sont pas des mauvais payeurs, mais bien des gens qui ne peuvent pas, à un moment ou un autre, payer leur loyer.
En 2010, le Médiateur de la République estimait à 15 millions le nombre de personnes pour lesquelles les fins de mois se jouent à 50 ou 100 euros près.
A Vénissieux, les difficultés de la vie représentent 75 % des causes de surendettement.
La lutte contre la pauvreté est une question de dignité humaine. Ce doit être une priorité nationale, une urgence nationale.
La crise du logement touche
- plus de 10 millions de personnes, de près ou de loin
- des ménages contraints de consacrer + de 50 % de leurs revenus pour se loger
- En 15 ans, le prix des loyers a été multiplié par 2,5
- Pénurie de logements sociaux : il faudrait en construire 500 000 par an. Aujourd’hui, nous sommes loin du compte.
Dans le même temps :
- 11 300 expulsions par an
- En 10 ans, les demandes de concours à la force publique ont augmenté de 132 %
- Les décisions de justice accordant le concours à la force publique : + 84 %
- Je tiens à souligner ici, les frais d’huissiers exorbitants qui se rajoutent à la dette.
A Vénissieux : la cocotte minute explose : tous les voyants sont au rouge !
En 2007, soit 1 an avant la crise économique, 27,10 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté, soit le double de la moyenne nationale. Chiffres en nette augmentation en 2011.
- + de 20 % de chômeurs sur la commune.
- 30 % des salariées femmes sont à temps partiel soit 2700 femmes (ce n’est pas un choix, il est subit)
- Le taux de bas revenus pour les Vénissians atteignait 35 % en 2009 contre 17 % pour le département.
- En 1 an, le nombre de bénéficiaires du RSA a augmenté de 14,5 %
- En 2 ans, le montant de l’aide sociale accordée par le CCAS a augmenté de près de 30 %
- En 2010, 6050 dossiers traités par le CCAS
- Les associations caritatives tirent la sonnette d’alarme
- Précarité énergétique : en 2010, 822 foyers en situation d’impayés sur la commune (les réductions d’énergies concernent en moyenne, chaque mois, 68 familles), 65 coupures effectuées dans l’année. Au vu de l’aggravation de la précarité énergétique, la ville de Vénissieux va mettre en place un plan d’action en direction de ces familles.
- En 2010 : 250 assignations au tribunal (+ 27 %), 117 concours à la force publique accordés (-16,40%) et 48 programmations (-17,20%) ð démontre le travail social considérable de nos services et de nos partenaires pour trouver des solutions.
Derrière ces chiffres, des êtres humains en situation de survie permanente.
- Au quotidien, l’humiliation, la culpabilisation des familles, une détresse humaine et psychologique
- L’angoisse, la peur au ventre face à des choix cornéliens : comment se loger, comment se nourrir, comment se chauffer, comment se soigner ? Quel avenir pour leurs enfants ?
Je considère qu’il y a là, non assistance à personne en danger
Les enfants sont les premières victimes de cette précarité.
- 2 millions d’enfants touchés
- 1 enfant sur 6 subit les conséquences du mal logement
- 16 000 enfants sans toit
Les effets de la précarité chez l’enfant, sont comparables à ceux de la guerre (rapport 2010 du défenseure des enfants).
Les conséquences sont multiples :
- Santé : Obésité précoce et morbide (multipliée par 3, voire 4 chez l’enfant en situation de précarité), carences alimentaires, modification du parcours de soin : plus de suivi médical régulier, mais ponctuel lorsqu’il y a maladie (augmentation de 5 % par an de la fréquentation des urgences pédiatriques). Dans le cas de logements insalubres : affections respiratoires et intoxications au plomb (85 000 enfants de moins de 6 ans seraient touchés).
- Psychologique : Souffrance psychiques liées à l’instabilité et l’insécurité permanentes. Dans le cas de logements surpeuplés : dégradation des relations sociales et familiales, impossibilité de construire son espace personnel, difficultés pour faire ses devoirs, mauvaise qualité du sommeil.
- Échec scolaire : refus d’aller à l’école de peur de rentrer le soir et ne plus avoir de logement, impossibilité de se concentrer à l’école, hyperactivité. Pour les pédopsychiatres, il s’agit d’un mécanisme de défense – penser devient dangereux.
- Pour alerter avant que la cocotte minute explose
- Pour refuser cette banalisation de la misère
- Pour éviter aux familles l’angoisse d’être jetées à la rue par la force publique et sombrer dans l’exclusion
- Pour protéger les enfants
Mais également, pour éviter les situations qui peuvent dégénérer : suicides, mise en danger de soi et des autres : exemples : Septembre 2010 à Nice : une femme de 79 ans terrassée par une crise cardiaque lors de son expulsion – mars 2009 à Strasbourg : un homme de 59 ans menacé d’expulsion se suicide dans les bureaux de son bailleur. A Vénissieux, en février 2010, un homme s’est barricadé chez lui lors d’une saisie mobilière. Une situation réglée sans heurts mais qui aurait pu dégénérer.
- Il y a bien là, trouble à l’ordre public
- Il y a bien là non assistance à personne en danger
- Ce sont des pouvoirs de police du maire ð donc pleinement de ma compétence.
Pour prévenir les accidents dus aux moyens de substitution de chauffage et d’électricité : danger pour les familles et les riverains (incendies, asphyxie).
- Il y a bien là, trouble à l’ordre public
- Il y a bien là non assistance à personne en danger
- Ce sont des pouvoirs de police du maire ð donc pleinement de ma compétence.
Le maire est en première ligne
- confronté quotidiennement à la précarité, c’est à lui de trouver des solutions pour répondre à l’urgence sociale.
- Garant de l’ordre public, il doit régler les situations explosives, dramatiques. Quand une expulsion se passe mal, c’est le maire qu’on appelle !
- Il est le pompier de service et quand il prend des mesures de précaution, de prévention, comme ces arrêtés, on lui interdit.
- Il doit remplacer, se substituer à l’Etat qui se désengage de ses missions régaliennes : logement, santé, emploi, éducation..
Prendre ces arrêtés c’est :
- acte responsable
- acte de désobéissance civique nécessaire
- acte de résistance comme certains l’ont fait dans notre histoire contre l’ordre établi inique et injuste qui privent des millions de personnes des droits les plus fondamentaux.
- Acte politique : refus de la résignation, une résistance, un combat pour une vie digne à laquelle chacun de nous a droit.
Oui, des maires sont entrés en résistance face à cette urgence sociale, cette non assistance à personne en danger.
Quand les seuils d’intolérance sont atteints, il faut savoir dire Non.
- Comment pouvons-nous accepter que des familles, des enfants, se retrouvent, un jour dans la rue ?
- Comment pouvons-nous accepter l’errance et le nomadisme urbain qui s’ensuivent, l’exclusion terrible et souvent sans rémission, que l’on afflige à ces hommes et ces femmes ?
- Comment imaginer que des enfants vivent dans ces favelas, ces trous à rat qui naissent ici et là dans nos agglomérations, près d’un échangeur, sous un pont, enfants terrés, apeurés, abandonnés aux risques sanitaires, aux traumatismes psychologiques ?
Ce n’est pas acceptable, ça n’est pas justifiable, ça n’est pas pardonnable pour une société soi-disant développée comme la nôtre.
L’Etat se désengage de ses missions régaliennes
- Il ne remplit pas son rôle de sûreté d’emploi, de sûreté de logement, de sûreté d’accès aux soins. Ce sont pourtant des droits inscrits dans la Constitution.
- Il transfère de plus en plus de missions aux collectivités sans moyens supplémentaires
- Il étrangle les budgets des collectivités alors que la population a de plus en plus besoin de services publics de proximité.
- Loi Dalo non appliquée : des ménages reconnus prioritaires sont mis à la rue. Exemple : dans deux jugements rendus le 17 décembre 2010, le Tribunal administratif de Paris a rappelé à l’Etat ses obligations de résultat à l’égard des personnes pouvant se prévaloir du droit à un logement décent et a condamné celui-ci à réparation.
Désengagement de l’Etat en faveur du logement social :
- Racket de l’Etat qui a fait main basse sur le 1 % et annonce une baisse de 70 millions de l’aide à la pierre. On applique à un droit constitutionnel les règles du Monopoly.
- Prélèvement de 340 millions d’euros / an sur les organismes HLM pour financer la rénovation urbaine : au final ce sont les locataires qui paieront.
- Vente au privé de 10 % des logements HLM et des pans entiers du logement social appliquant la logique du secteur privé (ex : ADOMA dont la gestion vient d’être reprise par la Société Nationale Immobilière).
Après tous ces désengagements, l’Etat se donne bonne conscience en créant, en avril 2010, une Commission départementale de coordination des actions de prévention des expulsions, sous l’autorité du Préfet.
Concrètement, à quoi sert-elle ? A rien !
- Cette commission ne s’est réunie qu’une seule fois en 1 an,
- Les villes, notamment les villes populaires n’y siègent pas,
- Quels objectifs ? Quel partenariat ? Quel résultat ? Quelle finalité ?
Il y a 2 poids / 2 mesures
- L’Etat attaque les maires qui prennent des mesures de précaution et de prévention. Quand attaquera t’il les maires qui n’appliquent pas la loi SRU, et qui sont eux, hors la loi ?
- Aujourd’hui, ce sont les maires des villes où un travail social considérable est réalisé qui sont traînés en justice. Qui rappellera l’Etat à ses responsabilités ?
- L’Etat voudrait adapter des logements à la misère. Je suis de ces maires qui refusent de gérer des camping pour pauvres au cœur des villes ou des favelas. La misère ne s’accompagne pas, elle se combat.
Il y a 2 poids / 2 mesures :
En 2010, le Préfet du Rhône a programmé une expulsion à Vénissieux alors que le jugement en référé n’avait pas encore été rendu. Il a de fait, préjugé de la décision du tribunal, comme si la jurisprudence était immuable. C’est bien le but de mes arrêtés : faire évoluer la jurisprudence.
Ce n’est pas le maire qui a violé la chose jugée, mais bien le Préfet qui a transgressé et préjugé d’une décision de justice.
Pour conclure :
En tant que maire, il est de mon devoir et de ma responsabilité :
- d’assurer l’ordre public
- de veiller à la dignité, à la sécurité de mes concitoyens
Ceci dans l’esprit des droits inscrits dans la Constitution et la Déclaration des droits de l’Enfant.
C’est le sens de mes arrêtés contre les saisies mobilières, les expulsions locatives, les coupures d’énergies et d’eau.
« L’homme n’est pas censé ignorer la loi, mais la loi n’est pas censée non plus ignorer l’homme ! ».
Je vous remercie de votre attention.
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